RSE : Du reporting à la stratégie
Des premières réglementations de reporting extra-financier à la taxonomie européenne
En 2016, alors qu’entrait en vigueur l’article 173-IV de la Loi de Transition Energétique pour la Croissance Verte (LTECV), de nombreuses entreprises protestaient contre le fait de devoir reporter sur 42 indicateurs. Elles s’interrogeaient notamment sur la pertinence ou « matérialité » de ces indicateurs extra-financiers, qui s’appliquaient quasiment de la même façon aux plus de 3000 entreprises visées, sans considération pour leur secteur d’activité. En effet, les grandes entreprises industrielles cotées en bourse aussi bien que les PME de services non cotées devaient reporter sur leur consommation en eau.
Avec le passage à la Déclaration de Performance Extra-Financière (DPEF) en 2019, les régulateurs semblent avoir saisi le message en mettant la matérialité au cœur des nouveaux textes. Depuis, les entreprises doivent toujours publier des informations extra-financières, mais en sélectionnant les sujets pertinents pour leurs activités. Elles doivent également exposer quelles sont les politiques mises en œuvre pour gérer ces enjeux durablement. Cependant, la visée de ces deux textes reste similaire. Les entreprises sont encouragées à faire preuve de davantage de transparence sur leurs opérations, que ce soit en publiant des indicateurs quantitatifs ou des informations sur les politiques RSE.
A cela s’ajoute la taxonomie européenne, qui met l’accent sur un autre aspect de la chaine de valeur des entreprises. Au lieu de se concentrer sur l’aspect opérationnel, il s’agit d’évaluer l’impact des produits et services proposés par les entreprises. Les investisseurs devront publier la part de leurs investissements dans des activités considérées comme durables selon une classification définie par l’Union Européenne. Par ricochet, les entreprises devront être à même de fournir ces données à leurs actionnaires actuels et potentiels. Mais cette fois encore, il est possible d’identifier des caractéristiques communes avec les réglementations citées précédemment : elles exigent des entreprises de fournir des informations sur leur performance à un moment donné, en général annuellement.
La performance ESG des entreprises au cœur des analyses de performance
réalisées par les investisseurs
En parallèle, les investisseurs de moyen à
long-terme sont de plus en plus regardants sur l’amélioration de la performance RSE des entreprises, puisqu’il est désormais reconnu qu’elle contribue à la performance financière. Sur les marchés non cotés, la demande pour des Vendor Due Diligences portant sur des critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG VDD) est croissante. Ces analyses permettent de démontrer l’amélioration de la performance ESG des entreprises lorsqu’elles étaient en portefeuille, et ainsi de justifier une meilleure valorisation d’une entreprise lors de sa vente.
De même, à l’achat d’un titre, les investisseurs sont de plus en plus nombreux à analyser la trajectoire des entreprises en plus de leur performance à un moment donné. C’est particulièrement le cas sur les sujets liés au climat : l’empreinte carbone d’une entreprise étant corrélée à
son secteur, c’est son évolution au cours des dernières années qui va être évaluée. Cette dernière pouvant varier fortement au gré des fusions ou acquisitions, elle est souvent rapportée au chiffre d’affaires, on parle alors d’« intensité carbone ». Cependant, certains investisseurs vont encore plus loin en analysant l’alignement avec une trajectoire 2°C. C’est-à-dire que même si l’intensité carbone d’une entreprise décroit au cours du temps, l’investisseur va vérifier si elle décroit assez rapidement pour être alignée avec des objectifs internationaux comme celui de limitation du réchauffement climatique à 2°C.
Stratégie d’ « engagement », Sustainability-linked bonds et coalitions : les
nouvelles stratégies des investisseurs
Cela reflète l’évolution des stratégies d’investissement responsable, qui tend à reléguer les pratiques d’exclusions au second rang. Considéré comme une des premières pratiques de l’investissement responsable, le fait d’exclure des titres permet aux investisseurs d’éviter d’investir dans des entreprises dont les risques ESG peuvent déteindre sur la performance financière ou la réputation de leurs fonds. Aujourd’hui, les investisseurs
prennent conscience de leur rôle en s’investissent davantage dans la relation avec les entreprises en portefeuille via l’« engagement », quand cela est possible.
Sur les marchés côtés, on observe une émergence des Sustainability-linked bonds (SLBs). Il s’agit d’emprunts obligataires dont le taux peut varier en fonction de l’atteinte d’objectifs ESG préalablement fixés. Les objectifs peuvent porter sur la diversité au sein des employés aussi bien que sur l’empreinte carbone, et motive fortement les dirigeants d’entreprises à les atteindre. Les émetteurs sont donc chaque fois plus sollicités pour fournir des données ESG, de manière à ce que leurs progrès sur les sujets matériels
puissent être évalués régulièrement. Les investisseurs valorisent particulièrement le fait qu’elles se fixent des objectifs et reportent sur leurs progrès. Alors que le reporting pur et simple peut s’apparenter à de la conformité réglementaire, la définition d’objectifs relève de l’intégration de la RSE au niveau stratégique.
Cependant, il est irréaliste de penser que les entreprises puissent répondre aux exigences de tous leurs investisseurs en termes de reporting ou de définition d’objectifs, en particulier lorsqu’ils sont minoritaires. Ces dernières années ont donc vu se multiplier les coalitions d’investisseurs, où plusieurs acteurs financiers joignent leurs forces pour pousser des entreprises à se positionner sur des sujets liés au développement durable.
Début 2021, une quinzaine d’investisseurs représentant 2 400 milliards de dollars d’actifs, dont les Français Amundi et La Banque Postale Asset Management, ainsi qu’une centaine d’actionnaires individuels se sont rassemblés en coalition. Accompagnés par l’organisation britannique ShareAction, ils ont déposé une résolution actionnariale lors de l’assemblée
générale d’HSBC afin de lui demander de définir un plan précis de sortie des énergies fossiles.
Le reporting RSE : un outil indispensable pour répondre aux demandes des
investisseurs, qu’elles soient normées ou spécifiques
Alors qu’on observe un mouvement vers la standardisation des listes d’indicateurs ESG, par exemple via la Global Reporting Initiative (GRI), celles-ci sont de plus en plus considérées comme un prérequis. Mais si l’on suit ces tendances ainsi que l’évolution des réglementations, il est fort probable que les demandes des investisseurs soient de moins en moins uniformes, et de plus en plus liée à des objectifs fixés par chaque entreprise et, si possible, en accord avec ses investisseurs. Il s’agit donc pour les entreprises d’être capables de déterminer les sujets matériels sur lesquels elles doivent se fixer des objectifs ambitieux, et d’être ensuite capables de démontrer de façon quantifiée les progrès réalisés. Ces objectifs porteront sur leurs opérations, mais aussi – et probablement de plus en plus – sur les impacts de leurs produits et services.