Reporting extra financier – CSRD
L’Europe a publié son projet de Directive sur les informations en matière de “durabilité”
Quel impact pour les entreprises ?
Exit la NFRD : la commission a publié en novembre son projet de directive CSRD sur la publication d’informations de durabilité par les entreprises. Changement de nom et clairement d’ambition pour ce paquet de mesures qui vise à compléter le dispositif déjà mis en place par l’Europe dans le cadre de son plan d’action pour une économie durable et qui comprend déjà la taxonomie verte et la réglementation SFRD relative au reporting ESG des acteurs financiers.
Avec un objectif majeur pour ce green Deal, embarquer véritablement les entreprises dans ce nouveau dispositif de la finance durable. Et pour cause : sans information fiable, pertinente et harmonisée des entreprises, il ne sera pas possible de répondre aux exigences du marché et à l’impératif de fléchage des flux de capitaux vers les activités les plus engagées dans la transformation durable de notre société.
Par rapport à la directive NFRD, la CSRD va plus loin : elle veut renforcer l’existant, harmoniser les publications à l’échelle européenne, simplifier le processus de reporting. De manière à offrir une approche qui réponde aux besoins d’information de l’ensemble des parties prenantes, investisseurs, société civile etc, et qui garantisse la fiabilité et la comparabilité de éléments communiqués.
Elle va signifier notamment une montée en exigence du reporting de durabilité et clairement pallier les déficits actuels : Manque de fiabilité, d’assurance sur les données ; absence d’éléments jugés indispensables ou a contrario communication d’informations superflues ; manque de clarté dans la présentation des informations, parfois peu explicites, et difficiles à localiser.
Au-delà du suivi de la performance, la CSRD porte une transformation en profondeur de l’exercice, dans une logique non plus de simple déclaration mais de démonstration de la performance de durabilité.
CSRD : près de 50 000 entreprises directement concernées, soit presque cinq fois plus qu’auparavant
Les exigences de l’UE se renforcent : les obligations s’étendent aux entreprises de plus de 250 salariés (contre 500 auparavant), et sont aussi élargies à toutes les sociétés cotées du marché européen. De 11 000 entreprises concernées par la NFRD, le projet cible désormais près de 50 000 entités.
Avec un cadre spécifique pour les PME : cotées, elles ont trois ans pour se conformer, non cotées, elles sont largement incitées à anticiper et s’engager dans la démarche. Les filiales européennes d’entreprises non européennes et les filiales de groupes rentrent aussi dans le champ d’éligibilité.
Les entreprises de type SAS ou SARL, qui échappaient encore à l’exercice DPEF en France, seront désormais éligibles.
Sans oublier tous les acteurs de la chaine économique, fournisseurs, sous-traitants, européens ou hors de l’UE qui indirectement se verront embarqués au travers des cahiers des charges de leurs
principaux clients.
Un niveau d’assurance renforcé
Toutes les grandes entreprises seront désormais contraintes d’utiliser les standards de reporting et de procéder à l’assurance de leurs données via vérification par tiers indépendants. Aujourd’hui ce ne sont seulement que 20 % des entreprises qui appliquent des standards et 30 % d’entre elles qui
font vérifier leurs données.
La vérification exigée devra couvrir le processus de collecte ou de calcul de l’information, sa cohérence avec les objectifs de durabilité de l’entreprise, la pertinence des KPI retenus ainsi que leur horizon de temps. L’objectif à terme étant de passer d’un niveau d’assurance modéré à un niveau d’assurance raisonnable, et d‘aligner les exigences du reporting extra-financier sur celles du reporting financier.
La grande nouveauté de ce projet de directive : l’élaboration de standards européens, les ESRS
La publication de ces standards constitue une avancée majeure pour le reporting de durabilité. Jusqu’à ce jour, les entreprises disposaient de nombreux cadres de reporting : GRI, IIRC, SASB, TCFD, CDP, etc. La multiplicité de ces cadres et standards internationaux, leur caractère volontaire, ne permettaient pas de répondre aux attentes des entreprises comme des autres parties prenantes, notamment les investisseurs. Avec la directive CSRD, ce sont le premiers standards européens qui sont publiés, intégrant l’existant (TCFD, ) et cohérents avec le autres initiatives de normalisation en cours, notamment hors Europe, avec les IFRS (IFRS S1- sustainability et S2-climat)
C’est l’EFRAG (l’European Advisory Financial Reporting Group) qui mène les travaux, et a pour mission d’alimenter les réflexions et de développer cette approche de “standardisation pertinente et dynamique des reportings européens sur la durabilité”.
Un premier socle commun de 12 normes, les ESRS (deux normes transverses et 10 normes thématiques sur les volets environnementaux, sociétaux et de gouvernance) été mis à disposition. Il devrait être officiellement validé d’ici fin juin avec la publication des actes délégués correspondants. Une seconde série de normes sectorielles cette fois est attendue dans l’année qui vient, couvrant plus de quarante activités. Enfin des standards ‘proportionnés’ seront établis pour les PME éligibles à l’exercice.
Il est prévu de revoir ces standards tous les trois ans afin d’intégrer les évolutions jugées pertinentes des standards internationaux.
La Commission valide le principe de double matérialité
Ce point est essentiel et va être structurant pour l’ensemble de l’exercice. La double matérialité va constituer la pierre angulaire de la CSRD, d’où l’importance à accorder à sa réalisation pour une mise en œuvre fiable et pertinente
L’analyse de matérialité va constituer le socle de la stratégie RSE de l’entreprise, de ses engagements. Elle va avoir un fort impact sur le contenu et les infos à communiquer pour la CSRD. Elle sera pour cette raison regardée de près par les OTI lors de la vérification avec un fort niveau d’exigence.
Pour l’Europe, l’ancrage de la double matérialité remonte à la publication de la Directive européenne comptable (2013/04/EU), transposée en DPEF en France. La double matérialité conjugue de deux types de matérialité, la matérialité financière qui correspond à la vision « Outside-In », et la matérialité d’impact qui, elle, prend en compte la vision « Inside-Out ». La matérialité financière (dite encore matérialité simple) ne prend en compte que les impacts positifs (opportunités) et négatifs (risques) générés par l’environnement économique, social et naturel sur le développement, la performance et les résultats de l’entreprise. Pour la matérialité d’impact (dite également matérialité socio-environnementale), on prend en compte les impacts négatifs ou positifs de l’entreprise sur son environnement économique, social et naturel.
Dans cette publication, les entreprises vont rendre compte, d’une part, de la façon dont les questions de durabilité telles que le changement climatique, affectent leurs activités et, de l’autre, comment ces mêmes activités peuvent impacter l’environnement et la société qui les entourent.
Selon le principe de double matérialité désormais largement reconnu.
L’analyse de double matérialité va nécessiter un saut qualitatif important vs les pratiques actuelles observées pour beaucoup d’entreprises.
Aujourd’hui, les matrices existantes qui manquent de robustesse et moins d’un tiers des entreprises du SBF 120 intègre les parties prenantes les parties prenantes externes dans l’analyse de matérialité. Et il s’agira pour les entreprises d’être d’autant plus vigilant sur sa réalisation que ses résultats auront un fort impact sur l’ensemble du contenu.
Un contenu élargi et plus encadré
Le contenu de la publication s’élargit et s’enrichit. Au-delà de la description du modèle d’affaire et des facteurs de risques, comme prévu par la Déclaration de performance Extra financière, les entreprises sont attendues sur leur stratégie de résilience, pour faire face aux changements
environnementaux et climatiques, et sur leur stratégie de transition pour atteindre la neutralité carbone.
En cohérence avec la taxonomie et ses six objectifs de durabilité, une liste détaillée des principaux impacts négatifs de l’entreprise devra être décrite.
Elles devront s’appuyer sur des informations aussi bien qualitatives et quantitatives, prospectives et rétrospectives, et couvrant tous les horizons de temps, le court, moyen et long terme en fonction de leur pertinence.
Nouveauté : la publication d’informations sur les intangibles sera exigible, comme le capital intellectuel, humain, social ou de relation.
Enfin, une attention particulière sera portée à la qualité des informations publiées. Les entreprises devront aussi justifier de la manière dont elles ont été sourcées et identifiées.
Les standards, à l’équilibre entre les trois piliers ESG, fixeront les informations que les entreprises
devront publier sur :
▪ l’environnement : ce sont les 6 thématiques en ligne directe avec celles identifiées par la taxonomie qui doivent être décrites : atténuation et adaptation au changement climatique, ressources en eau et marines, utilisation des ressources et économie circulaire, pollution, biodiversité et écosystèmes ;
▪ le social : on retrouve les thèmes standards du reporting social et sociétal : égalité des opportunités et accès au marché du travail, dont le développement des formations et compétences, l’égalité des genres et l’emploi de personnes handicapées ; les conditions de travail, dont les salaires, le dialogue social, l’équilibre travail et vie personnelle, santé et
sécurité ; les droits humains, les libertés fondamentales, les standards décrits dans les différentes normes internationales ;
▪ la gouvernance : le rôle des organes d’administration, de direction et de surveillance et leur composition ; l’éthique et la culture d’entreprise, dont les politiques anti-corruption, les engagements politiques de l’entreprise, dont ses activités de lobbying ; la gestion et la qualité des relations avec les partenaires commerciaux ; le contrôle interne et les systèmes de management des risques. Les sujets de gouvernance sortent renforcés de l’exercice avec des exigences de transparence accrue sur la composition et les attributions des différents organes, les plans de prévention de la corruption, l’équilibre des relations commerciales, les actions de lobbying.
Digitalisation
En ligne avec la stratégie numérique de l’UE, le texte préfigure la digitalisation des publications de durabilité, à l’image de ce qui se fait déjà pour les rapports financiers (format ESEF).
La Commission envisage la publication du document de gestion au format digital et son versement du reporting dans l’ESAP (European Single Access Point), la future base de données européennes qui centraliserait les reportings financiers et extra-financiers. Les données clés devront être
« tagguées », ou encore associées à une « étiquette digitale », afin d’être plus facilement lues par des algorithmes et exploitées, analysées par les parties prenantes.
Calendrier
La première application est prévue pour le printemps 2025, sur l’exercice fiscal démarrant au premier janvier 2024.
- A partir du 1er janvier 2024 pour les entreprises déjà soumises à une obligation de reporting extra-financier dans la cadre de la NFRD (grandes entreprises cotées de plus de 500 salariés).
- A partir du 1er janvier 2025 pour toutes les grandes entreprises remplissant 2 des 3 critères suivants : 250 employés, 40 M€ de chiffre d’affaires, ou 20 M€ de bilan
- A partir du 1er janvier 2026 pour les PME cotées (10 à 250 employés), avec une possibilité de différer leur obligation de reporting pendant 3 ans avec un standard allégé.
- A partir du 1er janvier 2028 pour les filiales européennes de sociétés mères non européennes qui réalisent plus de 150m€ de chiffre d’affaires en Europe.
- A noter que les filiales pourront être exemptées de reporting si les sociétés mères fournissent déjà un rapport de durabilité conforme à la CSRD (cette exemption ne s’applique pas aux filiales cotées).

Pour y parvenir, deux processus, législatif et de normalisation, sont menés en parallèle. Le texte de la directive a été publié fin 2022, pour une transposition dans les différents Etats membres dans les 18 mois soit avant juillet 2024. En France, ce texte viendra modifier le dispositif en place de la Déclaration de Performance Extra-Financière.
En parallèle, l’EFRAG pilote les travaux de normalisation et la publication des ESRS (European Sustainability Reporting Standards. Une première série de normes, dites transverses et thématiques, a été diffusée, avec adoption prévue avant fin juin 2023. Elle sera suivie dans l’année à suivre par une seconde vague de standards sectoriels.
En quelques mots, la CSRD apporte une évolution majeure du reporting de durabilité qui doit traduire la transformation mise en œuvre sur des enjeux matériels, environnementaux sociaux et de gouvernance.
L’analyse des projets de standards européens (ESRS) communiquée au printemps dernier montre que la CSRD modifie substantiellement la finalité même de l’exercice de reporting. L’objectif n’est plus seulement de raconter la démarche de l’entreprise, mais désormais d’expliquer en quoi l’entreprise est alignée avec les politiques environnementales européennes et le consensus scientifique. Pour ne pas se limiter aux bonnes intentions et éviter le Greenwashing. L’exercice évolue d’un simple exercice de déclaration à une véritable démonstration de sa performance, avec une attention toute particulière à apporter à la formalisation de la démarche et à la présentation qui en est faite dans le rapport de durabilité.
Et pour bon nombre d’entreprise, ce nouvel exercice représentera à la fois un saut tout autant quantitatif que qualitatif. L’idée étant de profiter du calendrier mis à disposition pour se préparer et anticiper au mieux pour s’aligner sur les exigences attendues et atteindre la conformité dans les délais.
Ce qu’il faut retenir
La CSRD : un reporting de durabilité plus détaillé, obligatoire pour toutes les grandes entreprises européennes, conforme à des standards européens et vérifié par un auditeur indépendant
- première mise en œuvre en 2025, portant sur l’exercice 2024 ;
- périmètre élargi à toutes les grandes entreprises (> 250 salariés), y compris SAS et SARL, et toutes les entreprises cotées ; les PME à terme
- publication selon des standards européens de reporting de durabilité, élaborés en parallèle ;
- introduction du principe de double matérialité : les entreprises doivent publier les informations nécessaires pour comprendre à la fois comment les facteurs de durabilité affectent leur entreprise et, réciproquement, comment leurs activités impactent la société et l’environnement ;
- contenu enrichi, notamment sur la stratégie, les objectifs, les éléments de gouvernance, les principaux impacts négatifs, les intangibles et la manière dont ont été identifiées ces informations ;
- exigence d’assurance des informations de durabilité, via une vérification systématique de la publication par OTI, avec des “degrés” d’assurance qui pourraient se renforcer et s’aligner sur ceux imposés au reporting financier ;
- inscription obligatoire de toutes ces informations au sein du rapport de gestion;
- digitalisation de l’information, à l’image des reportings financiers.
